Le jeudi 23 mai, nous avons organisé une soirée particulière : nous avons convié clients et sociétaires à visionner le documentaire Virage vers le futur, qui porte sur les alternatives à la voiture individuelle en zone rurale. La projection a été suivie d’une table ronde avec 5 experts. Zoom sur les grandes lignes du débat.
Aborder la mobilité en zone rurale
Le documentaire Virage vers le futur, réalisé par les Utopiens en 2022 avec le soutien de 6 associations locales, part à la recherche des alternatives à la voiture individuelle en Aveyron.
5 grandes familles d’alternatives y sont présentées :
- Partager la voiture, dont l’autostop organisé avec Rezo Pouce, un service de Mobicoop ;
- Les transports en commun : bus, trains mais aussi le transport à la demande ;
- Les véhicules intermédiaires comme le Véloto ;
- Le vélo, avec ou sans assistance électrique ;
- L’intermodalité, c’est-à-dire la possibilité de faire coïncider pour un trajet différents moyens de transport (train + bus + vélo par exemple).
5 experts ont été conviés pour réagir au documentaire lors d’une table ronde, en donnant également la parole au public.
- Marie Huyghe, consultante spécialisée en mobilité, a animé le débat ;
- Olivier Razemon, journaliste et auteur sur les thématiques de la ville et des transports ;
- Hélène Jacquemin, co-fondatrice de l’association In’VD qui déploie des véhicules intermédiaires et qui est interviewée dans le documentaire ;
- Catherine Lestre de Rey, présidente du Conseil de surveillance de Mobicoop et spécialiste de la mobilité ;
- Bénédicte Rozes, présidente du Directoire de Mobicoop.
Voici les grandes lignes du débat qui a eu lieu.
Qu’est-ce qui a changé depuis 2022 ?
La fusion Rezo Pouce-Mobicoop
Pour Mobicoop, il y a eu la fusion avec Rezo Pouce, comme le rappelle Bénédicte Rozes.
« [Cette fusion] tient à une conviction : celle qu’ensemble, on sera bien plus fort. Il y avait cette volonté aussi de complémentarité — de compétences, de solutions. On le voit, Rezo Pouce, sur les zones peu denses, ça nous semblait une solution de bon sens et d’outillage.
L’idée, c’était de se rapprocher pour proposer d’autres solutions, à la fois sur des zones plus urbaines, et des zones rurales, avec quand même toujours en tête la nécessité de proposer un panel de solutions. C’est-à-dire qu’en fonction du trajet, on puisse trouver une solution pertinente.
Les solutions qui conviennent pour certains trajets (la marche sur une courte distance), ne conviennent pas pour des trajets plus longs par exemple. Toutes les solutions ne conviennent pas pour tous les types de trajets. »
Des changements structurels
Pour Olivier Razemon, plusieurs changements ont eu lieu sur les mobilités rurales depuis 2022 :
- L’inflation et le fait que le coût de la route ne fait qu’augmenter ;
- L’étalement urbain qui continue ;
- Une forte progression du vélo : 37% d’usage du vélo en 2023 et 26% dans les campagnes ;
- L’arrivée de la trottinette électrique en zones urbaines ;
- L’essor des véhicules intermédiaires que l’on voit arriver dans le documentaire, et qui se sont beaucoup développés depuis.
Quelles alternatives privilégier en milieu rural ?
Les experts se sont accordés sur le fait que les alternatives se complètent, et qu’il ne faut pas avoir peur d’une cannabilisation des unes par les autres. Au contraire, plus les alternatives sont nombreuses mieux c’est : ainsi, chacun et chacune peut trouver une alternative à la voiture individuelle qui lui convient.
Les véhicules intermédiaires légers
Hélène Jacquemin a expliqué ce que sont les véhicules légers intermédiaires, aussi appelés vélis. Ce sont tous les véhicules qui se trouvent entre le vélo à assistance électrique et la voiture de moins de 600 kilos.
Il y a deux grandes catégories de véhicules intermédiaires :
- ceux qui sont à mobilité active, où on pédale avec une assistance électrique ;
- ceux qui sont à mobilité passive, comme par exemple l’AMI de Citroën.
Pour Hélène Jacquemin, ces véhicules sont l’avenir et rappelle que « l’innovation, c’est une désobéissance qui a réussi. »
Ces dernières années, le développement des vélis s’accélère. Ainsi, l’Ademe a lancé en 2022 un programme intitulé l‘eXtrême Défi. L’objectif : fédérer l’ensemble des concepteurs et constructeurs de véhicules intermédiaires français. Plus de 40 constructeurs font partie du programme ainsi qu’une dizaine de prototypes très avancés, en voie d’homologation ou déjà homologués pour certains.
Ces prototypes couvrent toute la gamme des vélis : vélo-cargos, quadricycles à pédales, quadricycles 100% électriques, de 25 km/h jusqu’à 120 km/h.
Hélène Jacquemin explique : « Je crois que ce qui a beaucoup évolué en deux ans, c’est qu’aujourd’hui, on en parle beaucoup plus. On voit [ces véhicules intermédiaires], on les expérimente. On se rend compte qu’ils répondent à plus de 80% des besoins d’usage de la voiture dans les territoires ruraux. Et aujourd’hui, on constate que ce ne sont plus des gadgets, mais vraiment des véhicules qui font sens pour être utilisés dans nos territoires. »
Hélène Jacquemin a répondu aux questions des participants et expliqué les expérimentations menées par In’VD, l’association qu’elle a co-fondée, ainsi que le cadre réglementaire des vélis, entre certification et homologation selon les cas.
Le vélo
Le vélo est un moyen de mobilité douce que l’on a tous et toutes à l’esprit. Aujourd’hui avec l’essor des vélos à assistance électrique, le vélo devient davantage accessible et adapté aux zones rurales, y compris lorsqu’il y a des dénivelés importants. Ainsi, le vélo s’invite dans la mobilité de plus en plus de personnes.
Comment alors faciliter l’utilisation du vélo en milieux peu denses ? Les collectivités territoriales peuvent mettre en place des voies cyclables, ou des voies vertes. Malgré le manque de moyens des collectivités ces dernières années, les experts rappellent que ce genre d’infrastructures n’est pas si coûteux et qu’il permet de sécuriser les cyclistes et de développer cette pratique. Ainsi, Olivier Razemon souligne que de nombreuses collectivités territoriales commencent leurs actions en faveur d’une mobilité douce par le vélo.
Face aux changements climatiques, le vélo peut être remis en question, comme le souligne un participant évoquant le fait de rouler lors d’une canicule. Pour Olivier Razemon, il faut aussi changer les mentalités des usagers, mais aussi de manière plus globale la gestion du temps et de l’espace public. (voir ci-dessous)
En somme, le vélo est un moyen de transport adapté à la mobilité rurale, et ce malgré des problématiques posées à moyen et long terme.
Et les transports en commun ?
Le documentaire évoque les trains à 1€ mis en place par la Région Occitanie. Un participant a demandé aux experts si ce genre de subvention est efficace pour changer les comportements de mobilité.
Marie Huyghe et Olivier Razemon ont expliqué que « le prix n’est pas le principal incitatif en matière de transport collectif. Quand on veut prendre un transport collectif, il faut qu’il soit fiable avant tout et qu’il y ait une fréquence et une amplitude suffisantes. »
Ainsi, les investissements doivent se faire sur la fréquence et la fiabilité de ces modes de transport. Si le train à 1€ peut être une bonne manière d’oser prendre train, cela est bénéfique. Mais ne suffit pas pour que le train devienne le mode de transport principal des usagers.
Sans compter que ces subventions dépendent des régions : si l’on change de région lors de son trajet, les tarifs ne sont plus les mêmes. Cela pose des problèmes d’équité.
Le documentaire montre également que différents transports en commun existent en zones peu denses : bus, navettes, transport à la demande. Le problème : ces solutions de mobilité ne sont pas suffisamment connues des usagers – ils ignorent même parfois qu’il y a une gare dans leur ville.
Comment accompagner le changement de comportement ?
Mobilité inclusive : une approche spécifique
Catherine Lestre de Rey, présidente du Conseil de surveillance de Mobicoop et spécialiste de la mobilité a apporté son expérience en matière de mobilité inclusive. Car pour changer les comportements, il y a une question de méthode. En relatant son expérience avec les Ateliers du Bocage, en Vendée, elle explique : « Dans le cadre de la mobilité inclusive, l’approche se fait par la personne.On est beaucoup plus sur comment on accompagne pour répondre aux besoins des personnes ».
Concrètement, pour les Ateliers du Bocage, Catherine a utilisé la méthode Agile. Elle explique :
« Donc c’est ça la méthode agile : on a introduit un panier de solutions de mobilité en disant on va commencer par le covoiturage domicile-travail et on va aller jusqu’à l’usage du vélo ».
Il s’agit donc, pour accompagner le changement de comportement, de se positionner à l’écoute des besoins réels des personnes concernées. « C’est vraiment de proposer aux personnes de les accompagner à ce que j’appelle l’éducation au choix ».
Informer les usagers sur les solutions existantes
Un des enjeux cruciaux est d’informer les habitants. Olivier Razemon donne cet exemple : « Quelqu’un le dit dans le film, elle dit, moi j’aime bien prendre le bus, mais encore faut-il le savoir. Car le problème, c’est qu’il y a une méconnaissance totale de la part d’un certain nombre de gens qui ne savent pas qu’il y a un bus ou un train qui passe dans leur commune ».
Bénédicte Rozes complète en expliquant que c’est aussi l’un des rôles des animateurs Mobicoop, d’orienter les personnes vers les solutions de mobilité les plus adaptées à leurs contraintes. Les animations permettent de faire connaître toutes ces solutions, et pas seulement le covoiturage et l’autostop.
Catherine Lestre de Rey a complété en précisant que les alternatives gagneraient à être davantage visibles : « Je crois que des micro-expériences [d’alternatives à la voiture individuelle en milieu peu dense], il y en a des tas, c’est vraiment un archipel. Dans des territoires peu denses, on souffre d’autant plus d’un manque de porte-voix en fait. Ce documentaire apporte vraiment une plus-value de ce point de vue-là. »
Le difficile choix de sortir du véhicule individuel
Matthieu Jacquot, directeur général de Mobicoop, (ci-contre) a remarqué : « la force du vélo et peut-être la force des vélis, c’est de pouvoir être en concurrence directe avec la voiture, parce que vous gardez ce sentiment de liberté. Vous avez un véhicule disponible, proche de vous, que vous prenez quand vous voulez ».
Alors, est-ce que les alternatives individuelles sont les seules qui peuvent fonctionner ?
Pour Olivier Razemon, il y a bien une question d’individualité. Mais il ne faut pas oublier que certaines personnes apprécient le train, et que d’autres n’aiment pas ou ne peuvent pas conduire pour des raisons de santé par exemple. On a tendance à penser que tout un chacun veut son véhicule personnel, mais l’on met de côté toutes ces personnes.
Plus globalement, le journaliste analyse que « les trajets et les destinations s’archipélisent considérablement ». Ainsi, « l’un des enjeux, c’est de regrouper les actions. L’objectif, ce n’est pas seulement d’éviter les déplacements, c’est aussi de faire en sorte que les déplacements soient plus cohérents ». Comment ? En permettant que « davantage d’origines et de destinations soient les mêmes ». Cela passe notamment par la réduction de l’étalement urbain, comme il l’a expliqué en donnant le contre-exemple des centres hospitaliers construits en périphérie des villes.
En somme, « on ne peut pas avoir un système et des pratiques de mobilité plus durables sans rupture dans nos modes de vie. Aujourd’hui, on adapte la mobilité à nos modes de vie. En fait, il faudrait faire l’inverse ».