Le mardi 20 janvier s’est tenu le premier séminaire sous le sceau du SMIRT. Un petit événement dans le monde traditionnellement cloisonné des autorités organisatrices de transport et de mobilité. Le thème de la journée marque également le tournant d’une époque. En effet, pour le SMIRT, sortir du bois sur le thème du covoiturage lorsque l’on représente les responsables historiques des transports en commun est assez remarquable. D’autant plus que les adhérents du SMIRT se font surtout remarquer par leurs projets d’infrastructures de transport collectif : réalisation ou projet (en cours, réussi ou avorté) de tram à Valenciennes, Lens ou Douai, de RER Lille-bassin minier pour la Région, de CHNS (Car à Haut Niveau de Service) pour le CG59, de métro ou tram-train à Lille…
Le rapport coût/avantages apparaît imbattable
Mobiliser sur le covoiturage n’est pas gagné d’avance même si, au fond, s’investir dans le covoiturage relève de l’évidence pour les AO. Le rapport coût/avantages apparaît imbattable surtout lorsque l’on rappelle que le gain du covoiturage quotidien, c’est l’équivalent d’un 13e mois pour un salarié (gains possibles de 1760€ par an et par personne sur un aller-retour de 30 km par jour en covoiturage). Pour la collectivité, la carotte est aussi alléchante : moins de congestion et moins de pollution (1 tonne de CO2 évitée par covoitureur en moyenne par an), le tout pour un investissement modeste.
« Le covoiturage représente une somme dérisoire dans le budget des Régions »
En effet, le covoiturage représente une somme dérisoire dans le budget des Régions selon Daniel Percheron. Le Président de la Région Nord-Pas-de-Calais et du SMIRT ajoute que ces sommes « dérisoires » sont complètement à la portée des politiques régionales afin de répondre à l’inexorable asphyxie des réseaux autoroutiers autour de Lille. C’est quelques centaines de milliers d’Euros pour le covoiturage (une première enveloppe de 200 000 € sera votée) contre les centaines de millions pour les TER (environ 300 M€) précise-t-il. Oui, le covoiturage c’est très peu face au projet pharaonique de RER Grand Lille pourrait-on ajouter, pour des résultats difficiles à anticiper mais pas forcément très différents. Le Nord-Pas-de-Calais a « inventé le TER » rappelle Daniel Percheron, mais il n’a pas inventé le covoiturage, dont il n’a pas été beaucoup question dans l’introduction du Président de Région.
Une définition du covoiturage qui serait à revoir
Pour démarrer la journée, Louis Boulanger (Inddigo) et Marie Tison (ADEME) fournissent quelques éléments de cadrage. Le covoiturage, c’est « l’utilisation commune d’une voiture par un conducteur non professionnel et un ou plusieurs passagers majeurs ». Ainsi, selon cette définition officielle, faire la tournée du quartier pour récupérer tous les enfants qui vont à leur match de foot n’est pas du covoiturage alors qu’aller au restaurant avec sa femme ou accompagner grand-mère à la pharmacie en est. Les taxi et les VTC (Véhicules de Tourisme avec Chauffeur) ne sont pas non plus considérés comme des moyens de covoiturage. Selon l’enquête nationale transport-déplacement, cela représente seulement 4,6% en part modale, covoiturage familial inclus. Les freins identifiés concernent les horaires, la difficulté à trouver des covoitureurs, des facteurs culturels ou les incertitudes du trajet retour. On évoque aussi la « niche fiscale » des frais réels dont bénéficient les automobilistes sur les trajets domicile-travail comme un obstacle à un usage plus fréquent du covoiturage. Les freins existent mais ils ne sont pas insurmontables. Car avec une politique de covoiturage, des résultats sont possibles à court terme (9 mois) affirme-t-on.
La croissance naturelle du trafic absorbe la baisse liée au covoiturage
Ce n’est pourtant pas à court terme que les deux conseils généraux envisagent le développement du covoiturage. En binôme, François Charlet (CG59) et Jean Lys (CG62) ont présenté le schéma directeur des aires de covoiturage des départements du Nord et du Pas-de-Calais. L’objectif est de faire progresser le taux d’occupation de 1,07 à 1,17 à l’horizon… 2025. Soit 10 ans pour une augmentation de 10% du taux d’occupation des véhicules, ce qui représente l’équivalent de 21 000 conducteurs en moins. Au passage, l’hypothèse de croissance du trafic de 2% absorbe largement la baisse du nombre d’automobiles liée au covoiturage. En d’autres termes, si les hypothèses se vérifient dans 10 ans et même avec l’atteinte des objectifs de covoiturage, le trafic automobile continuera à augmenter… Aujourd’hui environ 25% du covoiturage se fait par l’intermédiaire d’une aire de covoiturage. Du coup 25% des 21 000 conducteurs devront passer par une aire, soit environ 5000 places à créer. Le schéma proposé par les deux départements compte ainsi 150 aires de différentes tailles au-delà des recherches de mutualisation. L’atelier de l’après-midi aura permis d’approfondir les questions de localisation, d’équipement et de gouvernance de ces aires de covoiturages.
Le covoiturage existe déjà bel et bien dans la région
Notre région est donc attendue au tournant du covoiturage. Mais a-t-elle du « retard à l’allumage » comme l’évoque un intervenant dans la salle ? Elle n’est pas en avance c’est sûr, mais difficile de dire où elle se situe car entre l’informel, les initiatives éparses des collectivités et l’offre privée, le covoiturage existe déjà bel et bien dans la région. Un recensement récent précise qu’il existe une trentaine de sites internet de covoiturage dans le Nord-Pas-de-Calais et 200 en France ! Il y a une plateforme de covoiturage quasiment dans chaque AO de la région… une sorte de péché originel : trop d’émiettement pour avoir une réelle masse critique et une utilisation qui décolle. Jusqu’à présent « chacun fait un peu dans son coin » de façon peu satisfaisante. Alors « on va essayer de faire bien tous ensemble » résume Eric Quiquet, le Directeur du SMIRT.
L’enjeu est donc d’harmoniser et d’organiser. Et le SMIRT est (enfin) là pour ça : « Nous avons là le logiciel qui va nous permettre d’avancer » dixit Daniel Percheron. Face à l’éparpillement des initiatives, deux possibilités s’offrent à lui : la mutualisation ou l’interopérabilité. Le SMIRT s’orienterait plutôt vers l’interopérabilité, c’est-à-dire la coopération entre les différentes actions des AOT, à l’image de la région Rhône-Alpes : François Jarry a présenté un outil de mise en relation des sites des AOT avec une base de données commune pour le covoiturage. Mais pour réussir l’interopérabilité, il faut dépasser les blocages techniques et institutionnels.
L’intérêt du covoiturage pour la société et l’individu est partagé, mais comment mettre en oeuvre une véritable politique publique ? Quatre points clés sont évoqués pour élaborer une politique de covoiturage dans le cadre d’une gouvernance globale : l’animation, la communication, les aménagements d’accompagnement (tel que les aires de covoiturage) et les outils de mise en relation. Plusieurs orientations sont partagées lors des ateliers. Déjà, ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Par exemple, il n’est pas pertinent de tout miser sur internet (4 covoitureurs sur 5 n’utilisent pas d’outils de mise en relation) ou sur les aires de covoiturage (seulement 1 covoitureur sur 4 utilise une aire de stationnement). Ensuite, les intervenants insistent sur le fait qu’une politique de covoiturage, c’est d’abord de la com’ : pour les collectivités (exemple de Rennes, de l’Arc jurassien et du Grand Lyon), la communication représente 75% du budget dédié au covoiturage (150 000 à 200 000€). L’expérience du parc de la plaine de l’Ain illustre assez bien l’importance du « marketing » : avec un important travail d’animation, la part du covoiturage est passé de 7% à 23% puis elle est redescendue à 15% à la fin de l’animation, ce qui prouve le besoin de relais de communication.
« On a jeté les bases d’une politique publique de covoiturage »
La journée a bien rempli son objectif de partage de bonnes pratiques et d’échanges de réflexion collective sur la stratégie covoiturage dans la région. « On a jeté les base d’une politique publique de covoiturage » conclut Eric Quiquet. Il l’assure, le syndicat mixte va assurer pleinement sa fonction de gouvernance et prendre sa responsabilité en matière de communication. Le directeur du SMIRT assume ce virage dans les politiques de transport : « nous n’avons plus les moyens d’élargir les tuyaux ». A bon entendeur…