En septembre 2023, Forum Vies Mobiles et la Fabrique écologique ont fait paraître une étude intitulée « Y a-t-il un passager dans l’auto ? ». Leur conclusion : le covoiturage courte-distance tel que mis en place et soutenu par les pouvoirs publics ne permet pas de répondre aux enjeux de transition écologique. Le covoiturage ne serait donc pas si écolo ? En l’état non, et c’est bien cela qui nous préoccupe.
L’étude réalisée par l’Ademe en 2015 avait mis en lumière le faible impact du covoiturage longue distance d’un point de vue environnemental, avec un gain environnemental de 14% pour l’équipage en moyenne. Cette nouvelle étude s’intéresse quant à elle au covoiturage quotidien, de courte-distance, de type domicile-travail.
Elle a été réalisée en 2022 et 2023 en s’appuyant sur les données disponibles à l’échelle nationale et sur des études de cas auprès de collectivités diverses. L’étude s’interroge sur la capacité des politiques publiques à massifier le covoiturage mais aussi la pertinence de cet objectif – alors que la non-soutenabilité de nos pratiques actuelles de mobilité est de plus en plus soulignée. En somme, « la voiture, en devenant partagée, pourrait-elle devenir l’une des solutions aux problèmes qu’elle a participé à créer ? »
La massification du covoiturage quotidien, une fausse bonne idée ?
Le Plan covoiturage 2023 – 2027 qu’a lancé le gouvernement vise à atteindre les 3 millions de trajets quotidiens covoiturés en 2027 contre 900 000 en 2023.
Ce plan remplit :
- des objectifs écologiques : décarboner les transports, réduire la pollution de l’air.
- des objectifs sociaux : accessibilité des services et activités pour les publics non motorisés, de justice sociale et territoriale, création et entretien de liens sociaux.
- un objectif d’optimisation du système de mobilité : décongestionner les infrastructures routières, permettre aux AOM de réduire leur budget transport.
L’étude questionne d’ores et déjà ces objectifs qui ne sont pas tous « pertinents dans une perspective de transition écologique » puisque la résultante peut être un renforcement de la place de l’automobile et une concurrence accrue entre la voiture et les autres modes de transports plus sobres. La chercheuse relève donc que la massification du covoiturage est un objectif consensuel, « une évidence non questionnée ».
Cela entre en résonance avec les récentes affirmations du Président de la République Emmanuel Macron concernant son attachement à la voiture (source : 20 minutes). En 2022 au Salon de l’Auto, il déclarait que la France est « un pays qui aime la bagnole ». D’où cette conclusion de l’étude :
« Le covoiturage cherche à s’adapter au système automobile existant, mais il ne remet pas en cause le fait que 80 % des kilomètres parcourus le sont en voiture, au sein de véhicules souvent surdimensionnés pour les usages quotidiens. Les politiques de covoiturage développées par les collectivités sont apparues comme une politique publique « faute de mieux ».
Le « boom » du covoiturage, un mirage
Les chiffres sont là et sont bons : multiplication par 3 du nombre de trajets partagés entre janvier 2022 et janvier 2023 et jusqu’à 10 pour certaines collectivités. Mais comment sont définis ces chiffres ? Ils se basent sur le Registre de preuve de covoiturage (RPC), créé en 2020 et rendu possible par le développement du covoiturage par plateforme. L’objectif de cet indicateur : être capable de mesurer le nombre de trajets partagés et ce grâce à l’utilisation des plateformes.
Or ce type de covoiturage mesuré ne représente que 0,013% des trajets quotidiens effectués en voiture en 2022 contre 0,53% pour le covoiturage sans plateforme et donc non mesuré. Il est vrai qu’au premier trimestre 2023, le nombre de trajets double, atteignant 27 000 trajets par jour en moyenne. Mais il n’a représenté que 3% du covoiturage total. Ainsi, « le poids du covoiturage reste très faible en comparaison du volume global des déplacements [en automobile]. »
Pourquoi le covoiturage de plateforme ne fonctionne pas
L’analyse se porte sur les politiques publiques de soutien au covoiturage quotidien et leurs manquements. Les disparités entre collectivités sont expliquées par des niveaux de développement plus ou moins forts du covoiturage par plateforme, là où dans certaines collectivités le covoiturage reste principalement informel.
Ce covoiturage informel est largement majoritaire dans les pratiques de covoiturage, mais est invisibilisé : d’une part, les enquêtes de mobilité ne permettent pas à ce jour d’obtenir des chiffres fiables, plusieurs indicateurs divers étant utilisés. D’autre part, l’étude soutient que le covoiturage informel, ne fournissant pas de preuves de l’efficacité des politiques publiques, « souffre d’un soutien politique et financier moindre ». Une dichotomie entre covoiturage par plateforme et covoiturage informel est soulignée. Mais alors pourquoi le covoiturage par plateforme est-il soutenu par la puissance publique ?
Tout simplement parce qu’il est plus simple à mesurer, mais aussi à inciter. Le problème ? Les politiques publiques manquent de ciblage et sur ce sur plusieurs plans.
D’une part, le covoiturage mesuré s’est majoritairement développé dans les zones denses voire très denses. Cela s’explique par le fait que les opérateurs de covoiturage quotidien n’ont pas ou peu mis en place de conditions particulières sur le type de trajets réalisés (distance, temps de trajet, régularité). Si bien que les trajets se sont enregistrés là où d’autres solutions de mobilité sont disponibles, qu’il s’agisse des transports en commun ou des mobilités actives comme la marche ou le vélo.
Cela a été renforcé par le fait que les incitations financières ont créé des effets d’aubaine, incitant les usagers à opter ponctuellement pour du covoiturage, alors même que d’autres solutions de transport étaient possibles.
Les incitations financières manquent elles aussi d’un ciblage plus adapté : à destination des primo-conducteurs, elles n’incitent que peu les potentiels passagers à opter pour le covoiturage. Or, le covoiturage répond à des enjeux sociaux et doit permettre en particulier aux personnes vulnérables – non motorisées, précaires, âgées ou en situation de handicap – de se déplacer lorsque d’autres solutions ne sont pas disponibles. En fléchant la prime covoiturage sur les primo-conducteurs, l’incitation porte avant tout sur la rentabilisation des trajets. Certes, cela vise à réduire l’autosolisme, mais pas l’usage de la voiture.
« L’enjeu, à plus long terme, est bel et bien de questionner et transformer les besoins en mobilité et l’aménagement du territoire. Le covoiturage doit s’intégrer au système de mobilités, dans lequel l’accessibilité aux activités par la marche ou le vélo, et le développement de lignes de transport en commun cadencées, y compris dans les territoires peu denses, est une nécessité. »
Développer le covoiturage, oui mais différemment
En somme, cette étude montre que les politiques publiques de massification du covoiturage, dirigées vers les trajets organisés par plateforme, ne permettent pas de répondre aux enjeux de transition écologique ni aux enjeux sociaux de la mobilité. Pour autant, cela ne signifie pas que le covoiturage n’est pas une solution de mobilité alternative mais plutôt qu’il doit être développé différemment.
Il est urgent de recentrer le covoiturage sur les zones peu denses, où il ne se substitue pas à une offre de transports satisfaisante. Le covoiturage n’a de sens que lorsqu’il compense une offre inexistante. Nous avons donc besoin de politiques publiques de développement massif des mobilités douces, de réseaux de transports en commun efficaces et étendus et des mobilités actives, avec davantage de zones cyclables et d’infrastructures facilitant la pratique du vélo. Alors seulement, le covoiturage pourra jouer un rôle complémentaire sur des territoires où se déplacer reste compliqué.
Ensuite, les politiques publiques comme les opérateurs de covoiturage doivent se concentrer sur les publics qui ont des difficultés à accéder à la mobilité, comme les seniors, les personnes en situation de handicap ou les personnes vivant dans des zones isolées. Pour ces personnes, le covoiturage peut être une solution de mobilité écologique. Il s’agit de rendre la mobilité accessible à tous : c’est une question d’égalité. Et le covoiturage peut participer à atteindre cette dernière.
Nous manquons de données sur le covoiturage informel, qui est beaucoup plus développé. Mobicoop cherche actuellement à estimer parmi ses usagers lesquels font du covoiturage informel et à quelle fréquence. Ces données sont essentielles pour que les politiques de déploiement du covoiturage répondent à un besoin réel. Chez Mobicoop, notre objectif est de développer la mobilité partagée. Les plateformes ne sont qu’un moyen pour faciliter ces pratiques et ne doivent pas être un objectif en soi. Si organiser le partage de son trajet ne nécessite pas de plateforme, tant mieux !
Enfin, l’étude soulève la difficulté de changement des modes de vie. Dans une société individualiste, il est difficile de remplacer une pratique peu contrainte – celle de l’automobile individuelle – par du covoiturage, qui impose des contraintes d’organisation et va à l’encontre des réflexes individualistes. En cela, nous sommes convaincus que la sensibilisation des usagers et usagères est la clé. Pour que le covoiturage, quand il est pertinent, puisse se développer, il faut accompagner les changements d’usages et de mentalité. C’est pour cela que Mobicoop accompagne les territoires en réalisant des animations sur ces derniers : aller à la rencontre des habitants et habitantes, leur expliquer quelles sont leur options pour partager leurs trajets, les aider à prendre en main les outils numériques si nécessaire… L’effort sur ces actions de sensibilisation doit être redoublé.
Les politiques publiques doivent donc sortir d’une politique « faute de mieux » et se tourner vers une politique d’accompagnement du changement de nos modes de vie. Et cela ne se fait pas en un jour.