Matthieu Jacquot directeur de Covivo une société de covoiturage a réalisé une interview pour le magazine Réalités Industrielles mai 2018 concernant l’avenir du covoiturage.
Première partie :
Curieux paradoxe que d’essayer de dessiner un futur pour le covoiturage, alors que celui-ci correspondait pourtant à un usage naturel des voitures au moment de l’avènement de l’automobile. Nous serions bien prétentieux de vouloir prédire l’avenir, tout au mieux nous nous bornerons à rappeler d’où nous venons et quels sont les différents futurs possibles.
Un usage, le covoiturage, dépendant de son support, l’automobile
Rappelons tout d’abord que le covoiturage se définit comme « l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d’un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte ». Cette définition fait son entrée dans le Code des transports par l’intermédiaire d’une loi de 2015 (1). C’est-à-dire que du point de vue de l’État, le covoiturage était jusque-là un non-sujet, ou à tout le moins, il ne s’agissait pas d’une question liée aux transports !
Une autre manière de voir les choses est de dire que le covoiturage n’existait que de manière coutumière ou dérivée.
Coutumière, au sens où cette pratique existe depuis que l’automobile est apparue. Dérivée, voire jurisprudentielle,
au sens où le juge et le législateur ont eu à traiter du covoiturage dans d’autres matières, comme dans les Codes de
la Sécurité sociale, des collectivités territoriales ou encore de l’environnement. À titre d’exemple, on peut citer le Code de la Sécurité sociale, qui précise qu’un accident de la route survenu au cours d’un détour occasionné par la
prise en charge d’un passager dans le cadre d’un covoiturage régulier pour se rendre à son travail est considéré
comme un accident de trajet et, qu’à ce titre, il ouvre les droits à indemnisation afférents.
Néanmoins, rien n’indique ce qui va en soi permettre de qualifier la régularité d’un covoiturage, ni même ce qui relève d’un détour acceptable; charge au juge, le cas échéant, d’en décider !
Ainsi le covoiturage, qui est une pratique bien installée, mais plutôt mal qualifiée, n’a été prise en compte dans les
politiques publiques que très récemment. Exception faite de la première « bouilloire automobile » de Ferdinand Verbiest (en 1668) ou du premier véhicule à vapeur de Joseph Cugnot (inventé en 1769), l’automobile est née dans l’idée d’en faire un moyen de transport de marchandises ou de transport collectif (neuf places pour la London Steam Carriage, et douze places pour L’Obéissante d’Amédée Bollée, considérée comme le premier véhicule à avoir été commercialisé, en 1873).
« L’automobile est née dans l’idée d’en faire un moyen de transport de marchandises ou de transport collectif (neuf places pour la London Steam Carriage, et douze places pour L’Obéissante d’Amédée Bollée, considérée comme le premier véhicule à avoir été commercialisé, en 1873). »
Grâce aux gains de puissance permis par l’usage du pétrole dans les moteurs à combustion interne, la révolution automobile était désormais en marche.
Le fordisme a permis de démocratiser l’usage de l’automobile par toutes les classes sociales et a fait passer le nombre des voitures dans le monde de 250 000 en 1907 à 500 000 en 1914, dont la moitié était des Ford T sorties des chaînes de fabrication inspirées du taylorisme. De 50 millions de véhicules avant la Seconde Guerre mondiale, le parc automobile mondial a atteint les 300 millions en 1975, après les Trente Glorieuses. D’objet de production, l’automobile devient alors un objet de consommation.
En effet, le taux d’équipement des ménages est tel que l’enjeu n’est plus tant de produire au meilleur coût que d’assurer le renouvellement du parc automobile. L’industrie automobile est tellement puissante que son évolution est révélatrice de l’évolution de la société tout entière : ce n’est plus à un besoin de déplacement auquel on cherche à répondre par la valorisation du travail et de l’innovation technique, mais à un besoin de reconnaissance sociale, d’affirmation de l’estime de soi dans une société de consommation modelée par les marketeurs.
Paradoxalement, ce sont les enjeux environnementaux qui marquent le retour en grâce des ingénieurs, auxquels on demande de créer des modèles devant permettre de réduire les émissions de CO2 par kilomètre parcouru.
Les « dieselgates » de Volkswagen, puis de Renault, de Fiat et de PSA ont montré que les limites fixées en matière d’émissions de CO2 sont telles qu’elles semblent difficiles à respecter sans tricher. Vaste paradoxe que de devoir, norme après norme (Euro 1, 2… 6d), réduire toujours plus les émissions de polluants ou de CO2, dont la limite maximale a été fixée à 95 g/km d’ici à 2020 pour les voitures neuves (2).
En effet, les directives et réglementations relatives à ce sujet se succèdent depuis 1990, mais aucune approche systémique n’a été retenue permettant de soutenir les politiques de partage de l’énergie : deux personnes par voiture permettent pourtant de diviser par deux les émissions de CO2, alors que le taux d’occupation des voitures est resté stable sur la période, en tous les cas en France, c’est-à-dire un taux inférieur à 1,2 pour les déplacements liés au travail. Le potentiel de transport de 100 voitures est en gros de 500 personnes, alors que, dans les faits, elles n’en transportent que 120. Seule une approche systémique peut donc permettre de diminuer les émissions polluantes.
(1) Loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la Transition énergétique pour la croissance verte, article 52.
(2) Règlement (CE) 443/2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 établissant des normes de performance en matière d’émissions pour les voitures particulières neuves dans le cadre de l’approche intégrée de la Communauté visant à réduire les émissions de CO2 des véhicules légers.