Interview de Denis Leroy, Vice-Président de la Communauté d’Agglomération de La Rochelle en charge de la Mobilité et des Transports.
La Rédaction : Dans les années 1970, La Rochelle piétonnise son centre-ville, des vélos jaunes sont en libre service ; 1986 : première voiture électrique ; 1999: naissance du premier service d’autopartage ; 2001, création d’une plate- forme logistique ; 2011: expérimentation du cybercar sans conducteur… La Rochelle est l’une des vitrines françaises de la mobilité. Quel est «le secret» pour garder dynamisme et capacité d’innovation dans l’action publique depuis si longtemps ?
D.L. Il y a deux «secrets» : d’abord Michel Crépeau (maire de La Rochelle de 1971 à 1999), un maire visionnaire et concret, qui a su imposer un modèle décalé par rapport aux conceptions de la ville des années 70. À l’époque, la voiture est partout, on construit des rocades, des autoponts, des tours emblématiques dans les centres-villes ; on sépare les fonctions : la ville où on habite et celle où on travaille, ce qui suppose d’utiliser la voiture. À l’inverse le maire de La Rochelle a voulu mettre l’homme au coeur des politiques, d’où une approche décalée de la mobilité, finalement innovante, aujourd’hui référente. Et puis l’Histoire, très prégnante ici. La Rochelle a une tradition de non conformisme. Cette dimension, on la retrouve aujourd’hui par exemple dans nos politiques de déplacement : si on propose aux rochelais une politique innovante, singulière ils sont complices et sont partants !
L.R. À y regarder de plus près, approche multimodale, intermodale et intégration semblent être les trois maîtres mots de votre politique de déplacement… le réseau Yélo et la carte Yélo en somme ! Pouvez-vous nous en dire plus ?
D.L. Bien souvent l’alternative qui était proposée aux usagers se résumait à la voiture ou le bus: «la dictature du bus ou la dictature de la voiture». Il faut imaginer une autre intelligence des déplacements : partager l’espace public, permettre à chacun d’avoir toute liberté de se déplacer, de vraiment choisir son mode, etc.
À La Rochelle nous offrons une palette de neuf choix possibles (bus, vélo, train, marche à pied, covoiturage, taxis, Yélomobile (autopartage), bateau, Parcs- relais) : c’est la multimodalité. La voiture a aussi sa place dans cette palette. Ensuite il faut soigner l’articulation entre les modes. Il faut que le système soit cohérent pour l’utilisateur : c’est l’intermodalité. Enfin il faut convaincre : les réfractaires nous disent «c’est bien beau tout ça mais c’est pas pratique !» : c’est pour répondre à cet argument que justement nous
avons créé la carte Yélo, carte unique, commune, elle donne accès à tous les modes.
L.R. L’hypercentre de La Rochelle concentre ce «cocktail de mobilité innovante» mais comment appréhendez-vous les déplacements sur les territoires moins denses ?
D.L. Effectivement, l’approche est différente selon les territoires : dans les zones denses proches du centre-ville, nous avons voulu redonner de l’efficacité au bus et donc nous avons repensé notre stratégie. Auparavant nos bus assuraient une desserte fine par capillarité. Aujourd’hui nous privilégions des lignes fortes avec une fréquence et un cadencement soutenus : nous sommes rentrés dans l’ère de l’efficacité du rabattement. Parallèlement dans les zones moins denses c’est le transport à la carte qui est le plus pertinent.
Plus loin en périphérie, les déplacements s’effectuent encore largement en voiture ; pour accueillir ces voitures, nous prévoyons l’implantation de parcs- relais et parkings de covoiturage sur les principaux accès à l’agglomération.
L.R. En 2011, vous avez réalisé votre première enquête déplacements ville moyenne selon la méthodologie Certu. Pourquoi cette décision ? Quels sont les résultats les plus marquants ?
D.L. Notre premier PDU (2000 -2010) nous l’avions fait par «nous-mêmes» mais avec le souci de construire une offre de déplacement variée pour les rochelais : en 10 ans nous avons investi 70 millions d’euros. Nous avons aussi aménagé l’espace public pour un meilleur partage entre les usages.
L’enjeu de notre deuxième PDU (2012-2021), sur lequel nous travaillons actuellement, c’est de faire changer les usages, développer des pédagogies, et pour ça, il nous faut des outils d’observation plus fins et plus de participation citoyenne. C’est pourquoi nous avons décidé de réaliser une enquête déplacement.
Comme résultats marquants, et preuve que nos investissements ont payé, je retiens la part modale du vélo (8%), aussi bien que Strasbourg ! J’observe aussi que 58% des déplacements sont effectués en voiture² alors qu’en villes moyennes on est plutôt habituellement à 70% et plus ailleurs.
L.R. Y a- t – il d’autres résultats qui vous interpellent dans cette enquête déplacement ?
D.L. Oui je voudrais redire tous les enjeux liés aux déplacements domicile-travail. Un déplacement sur deux lié au motif travail fait moins de 2,5 km. Cette distance correspond parfaitement au domaine de pertinence du vélo ! Travailler sur les usages c’est aussi inciter à des changements de comportement entreprise par entreprise, individu par individu… c’est pourquoi nous concluons des «contrats citoyens» qui sont un engagement à changer ses habitudes au profit des modes doux, avec un objectif chiffré à échéance de 18 mois. Déjà nous avons 30 entreprises qui se sont engagées soit plus de 500 salariés qui optent pour un autre mode que la voiture ; c’est approximativement la capacité d’un parking en centre-ville ! Autre exemple : pour les étudiants qui viennent à La Rochelle, nous prévoyons «un vélo dans le cartable». Ils sont déjà plus de 600 à avoir opté pour le vélo.
L.R. Avec Nantes et Toulouse, La Rochelle est impliquée dans CIVITAS dont l’objectif est de promouvoir une mobilité durable ambitieuse au sein d’un réseau de villes européennes. Que retirez-vous de cette participation ?
D.L. Civitas c’est fondamental ! C’est une façon efficace d’échanger avec d’autres villes européennes mais aussi d’autres villes françaises. Souvent on observe qu’il n’y a pas de solutions toutes faites, ce qui vaut ici ne vaut pas forcément là-bas et inversement. En un mot, c’est stimulant !
Contact : Communauté d’agglomération de La Rochelle – Marie Santini 05 46 30 36 50
D’après Transflash n°369-février 2012
«Il faut imaginer une autre intelligence des déplacements» | Le blog de la mobilité partagée