L’autopartage sous toutes ses formes, les voitures avec chauffeur (VTC) et bientôt le covoiturage dynamique modifient le paysage des transports franciliens.
Une piste cyclable flottante d’une dizaine de kilomètres permettant de traverser la ville de part en part sans mettre pied à terre et sans respirer les gaz d’échappement… Voici peut-être un visage des transports urbains de demain. Pour l’heure, il s’agit d’un projet britannique, né de l’imagination d’un architecte spécialisé dans la conception de stations spatiales et du bureau d’étude Arup. La signalisation de cette autoroute réservée aux vélos aux bords de la Tamise serait en outre alimentée en électricité par un mix d’énergies solaire, éolienne et même marémotrice…
Nous n’en sommes pas encore là, ni à Londres ni à Paris, même si rien n’empêche d’imaginer la même chose autour de la Seine… Pour l’instant, Anne Hidalgo a promis un doublement du kilométrage de pistes cyclables à Paris et l’utilisation accrue des canaux de la capitale comme infrastructure de transport. En revanche, tout est fait pour que la part de la voiture individuelle, dont à peine une moitié des Parisiens intra-muros sont propriétaires, continue de baisser. 15 % des places de stationnement en surface ont disparu ces dix dernières années et Anne Hidalgo a récemment confirmé une prochaine hausse significative des tarifs. Parallèlement à ces restrictions, la capitale incite les opérateurs à améliorer les transports en commun et favorise l’implantation de solutions alternatives de mobilité individuelle plus propres et susceptibles de désengorger ses rues.
L’autopartage a le vent en poupe
C’est ainsi que les Parisiens ont vu apparaître Vélib’ en 2007 puis Autolib’ en décembre 2011. Dans les 800 stations que comptaient en octobre Paris et plus de 60 communes de la petite et grande couronne, les 2.600 BlueCar électriques de Bolloré (qui en vise 3.000 pour la fin de l’année et 5.000 bornes de recharge) sont louées en moyenne 10.000 fois par jour, avec des pics à 12.000 le week-end. Certes, elles souffrent du traitement que leur infligent ces nombreux utilisateurs et Bolloré travaille sur de nouveaux aménagements intérieurs plus résistants. Mais après Lyon et Bordeaux, la vitrine parisienne et francilienne a permis à l’industriel de conquérir Londres, Indianapolis, peut-être bientôt Singapour… Attirés par ce succès, de nouveaux venus font leur apparition sur le marché émergent de l’autopartage.
« Nous avons bien étudié Autolib’ avant de nous implanter à Paris et avons constaté qu’il manquait une brique de déplacements plus longs et planifiés, pour aller faire ses courses chez Ikea ou une virée en forêt le week-end », détaille Étienne Hermite, directeur général pour la France de Zipcar, débarqué à Paris en septembre dernier.
Alors qu’Autolib’, selon le principe de la « trace directe », permet de laisser la voiture ailleurs que là où on l’a prise, mais pas de réserver plus d’un quart d’heure à l’avance, Zipcar, service d’autopartage « en boucle », contraint l’automobiliste à la ramener à son point de départ. Mais le pionnier américain de l’autopartage, devenu filiale d’Avis Budget Group, propose la réservation, une gamme plus large de véhicules (dont des utilitaires) et un système de tarification mieux adapté à des durées de location plus longues.
Estimant le potentiel de Paris équivalent à celui de New-York ou Londres, deux des centaines de villes où Zipcar est déjà implanté, Étienne Hermite affiche un objectif ambitieux : que chaque Parisien soit à moins de 5 à 10 minutes d’une voiture. Pour ce faire, alors qu’il dispose aujourd’hui de 60 emplacements souterrains, il espère obtenir le label « Autopartage Paris » pour pouvoir s’implanter en voirie. C’est sur un autre créneau encore que s’est lancée la jeune start-up Wattmobile, avec ses Twizy et ses scooters électriques en libre-service dans les gares de Lyon et de l’Est à Paris, mais aussi à Lyon, Lille, Marseille, Grenoble, bientôt Bordeaux et Toulouse.
À l’instar d’Autolib’, Wattmobile compte bien se servir de sa vitrine française pour investir les grandes gares européennes.
Plateformes de Covoiturage
À côté des systèmes d’autopartage classiques, le plus souvent gérés par les villes, sont apparues ces dernières années des plates-formes de location entre particuliers, telles que Drivy, Deways, Ouicar (ex. Zilok) ou Buzzcar. Par ailleurs, si l’autopartage permet de mutualiser l’utilisation d’une voiture par plusieurs conducteurs à des moments différents, le covoiturage, lui, permet de partager un trajet.
À l’image du plus connu d’entre eux BlaBlaCar, qui a levé 100 millions de dollars l’été dernier pour s’installer aux États-Unis, la plupart des opérateurs restent positionnés sur les longues distances. « Pour l’instant, le grand public n’est pas demandeur de covoiturage sur de courtes distances », affirme Laure Wagner, en charge de la communication de BlaBlaCar. « L’essence n’est pas assez chère pour que ce soit une motivation. » Pour les trajets domicile travail, le leader du covoiturage conçoit des plates-formes en marque blanche pour les entreprises qui souhaitent faciliter la vie de leurs salariés.
Géolocalisation et connexion, les préalables au covoiturage
Covivo, pour sa part, développe des platesformes de covoiturage essentiellement à destination de collectivités, agglomérations, villes, régions, etc. Comme l’explique l’un de ses fondateurs Matthieu Jacquot, les solutions que propose la start-up permettraient de connecter sur un territoire donné les transports en commun et les systèmes privés, des univers qui ont encore du mal à communiquer. Elles pourraient aussi convertir au covoiturage des secteurs comme les ambulances, le transport de personnes âgées, etc. « Les agences régionales de santé étudient la question », assure-t-il.
Mais quand Covivo a vu le jour il y a cinq ans, c’était pour se spécialiser sur le covoiturage dynamique. Pour BlaBlaCar, ce marché n’est pas mûr car il reste un problème de taille critique. « Pour que cela fonctionne, il faudrait que tout le monde soit équipé d’un smartphone, géolocalisé et connecté », explique Laure Wagner.
En effet, le principe consiste à faire se « rencontrer », par smartphone interposé, des piétons et des conducteurs présents au même moment dans un périmètre réduit et allant au même endroit… C’est précisément pour cette raison qu’il est plus adapté à la ville.
« D’autant plus que la réticence des usagers est moindre, car ils ont toujours la possibilité de se rabattre sur les transports en commun, s’ils ne trouvent pas de covoitureur », ajoute Matthieu Jacquot.
Dans tous les cas, pour que le jeu en vaille la chandelle, il faut que les adeptes du covoiturage en milieu urbain et périurbain y trouvent d’autres avantages que financiers. Par exemple, la perspective de gagner du temps, en empruntant des voies réservées. Dans plusieurs villes des États-Unis et du Canada, les fast lanes (voies rapides) ont fait la preuve de leur efficacité pour convertir massivement les automobilistes au covoiturage et décongestionner les routes aux heures de pointe. Dans cette optique, la région Île-de-France, l’État et le Stif prévoient de dédier plusieurs voies sur les autoroutes au départ de Paris aux taxis, bus express et covoitureurs. L’aménagement d’aires de rabattement pour le covoiturage et de places de parking réservées est également à l’étude. Non contents de s’en servir pour ouvrir la porte d’une voiture en autopartage ou localiser un covoitureur, les 24 millions de possesseurs de smartphones peuvent également les utiliser pour emprunter un autre moyen de transport qui a fait récemment couler beaucoup d’encre : les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), rendues célèbres par l’Américain Uber, soutenu par Google et Goldman Sachs.
Mieux organiser ses déplacements
Selon le principe initial, l’application permet à l’utilisateur de faire une réservation au moins quinze minutes avant sa course puis de suivre en temps réel l’approche de son chauffeur, et de connaître à l’avance le prix de la course (de 20 à 30% plus cher qu’un taxi classique). Les taxis de plusieurs villes françaises comme Paris, Lille ou Bordeaux se sont vivement opposés à cette concurrence qu’ils jugent déloyale. Plusieurs pratiques d’Uber ont été condamnées par des tribunaux.
En Allemagne, son activité est interdite à l’exception de son service de limousines. Début octobre, pour calmer la fronde des taxis, le Parlement français a finalement interdit aux VTC la géolocalisation par les clients, tout en l’autorisant aux taxis. Pour conserver leur part de marché, certaines compagnies de taxi ont par ailleurs élaboré leurs propres offres inspirées du covoiturage.
Avec son service Wecab, G7 permet de réserver des courses vers ou à destination d’un aéroport pour un maximum de 6 personnes. Là aussi, le prix est connu à l’avance, et se situe environ 40% en dessous de celui d’un taxi classique. Déterminer précisément dans quelle mesure toutes ces nouvelles offres se substituent à la voiture individuelle et aux transports en commun, et dans quelle proportion ils contribuent à faire baisser la pratique automobile dans la capitale, fait débat. Selon la dernière étude du cabinet 6T, le parc automobile des « autolibeurs » aurait diminué de 23 %, et leurs trajets en transports en commun de 18%. Ces derniers se modernisent également pour fidéliser ou reconquérir les usagers.
Outre les connexions qui doivent permettre aux futurs utilisateurs du Grand Paris Express de se déplacer facilement, y compris de façon orbitale sans repasser par le centre-ville, d’autres initiatives visent à en rendre l’utilisation plus agréable. Malgré un retard à l’allumage, la mise en place du WiFi, est en cours dans le métro parisien.
« En raison de l’exigence actuelle d’hyperconnectivité, les transports sont l’un de nos principaux axes de développement », explique Nathalie Leboucher, directrice du programme Smart City chez Orange. « L’équipement en WiFi dans les bus permet à la fois de fournir du contenu aux usagers, et donne des outils de gestion en temps réel à l’exploitant. De ce fait, les voyageurs, mieux informés, sont à même de mieux organiser leurs déplacements et cela fluidifie les transports. Le simple fait d’être prévenu, de savoir à quoi s’en tenir en cas d’incident ou de retard, et de pouvoir trouver une solution alternative, est essentiel pour l’usager. »
Même souci de l’information en temps réel pour la start-up Joul et ses ZenBus, grâce à une application sur smartphone qui indique aux usagers la position exacte des bus sur une carte. Déployé à Issy-les-Moulineaux en collaboration avec la RATP, Grand Paris Seine Ouest et la ville, ZenBus est également expérimenté sur deux lignes par la Semitan, l’opérateur de transports de Nantes où est née la start-up. Son exploitation de données géolocalisées en temps réel pour fournir une information utile aux choix de mobilité des individus peut avoir de multiples applications. « Il y a un réel besoin de faire mieux correspondre l’offre et la demande en temps réel, par exemple pour accompagner les voyageurs sur des réseaux très éphémères mis en place pour des événements comme des concerts ou des matchs », observe son cofondateur Olivier Deschaseaux.
De la voiture connectée à la voiture autonome ?
Afin de rester au fait de ces évolutions qui promettent de bousculer sérieusement leurs modèles, la plupart des opérateurs de transports publics, des loueurs de voitures traditionnels et des constructeurs ont investi ou racheté des start-up de l’éco-mobilité. Ils commencent même à tester directement ces nouveaux usages de la voiture, où le service prend le pas sur la propriété. En plus de sa plate-forme en ligne Multicity, PSA opère un service d’autopartage à Berlin. Quant à Renault, il s’y est frotté un an durant à Saint‑Quentin-en‑Yvelines pour mieux comprendre les attentes des clients, avant de confier son Twizy Way by Renault à Keymoov. Le constructeur proposera aussi ses Twizy aux côtés des BlueCar dans le cadre d’une coentreprise avec Bolloré à Bordeaux et Lyon. Quant à la voiture individuelle, elle n’a pas dit son dernier mot. De l’interface la plus sécurisée pour pratiquer le co-voiturage dynamique aux indications concernant les places de parking libres et au guidage jusqu’à ces emplacements, la voiture connectée n’en finit pas d’étendre la palette de ses services. De là à rêver de la voiture autonome… En dehors de Google, tous les constructeurs y travaillent à un horizon de cinq à dix ans. Mais les freins sont d’ordre juridique et réglementaire plus encore que technique.
À plus court terme, on observe deux tendances qui peuvent sembler antinomiques : d’un côté, les constructeurs adaptent leurs modèles aux nouveaux usages. Renault, dont les modèles électriques Zoé et Twizy sont tous équipés de boîtiers d’interconnexion adaptés à l’autopartage, s’apprête à proposer cette option sur ses modèles thermiques. Le constructeur planche aussi sur des voitures à l’intérieur plus résistant pour supporter l’utilisation intensive associée à l’autopartage. De l’autre, ils recréent dans l’habitacle un cocon familier, où le propriétaire retrouve sa play list favorite, des destinations pré-programmées et des divertissements pour ses enfants, un confort que ni le co-voiturage, ni les transports en commun ne peuvent lui offrir…